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Lecture implicite : l’art de savoir lire entre les lignes

Les bonnes fictions sont celles qui ont plusieurs niveaux de lecture. L’implicite, ou sous-texte, ce qui est dit sans être dit, c’est ce qui fait tout l’intérêt d’une œuvre. Or, c’est un fait, beaucoup ne savent pas lire entre les lignes. Trop de gens s’arrêtent au premier niveau de lecture, et passent à côté de l’essence même de l’œuvre, de son message. D’autres nous proposent une interprétation totalement erronée de l’œuvre. Certains vont même jusqu’à affirmer qu’elle défend… ce qu’elle dénonce ! Cela peut avoir des conséquences fâcheuses, comme le montre cet exemple récent.

 

Un exemple de mauvaise interprétation de l’implicite

L’idée de cet article m’est venue en lisant une publication des éditions Noir d’Absinthe sur Facebook. Il y était question d’un de leurs livres, Asphodel, de Lousie Le Bars et Flokera. Le livre s’est vu accusé sur des plateformes de lecture comme Livraddict d’être, entre autres, misogyne. Or, le résumé présente clairement le livre comme féministe :

En nous mettant dans la peau d’un monstre fantastique, le roman aborde des thématiques féministes et nous pousse à réfléchir sur les origines du mal.Extrait du résumé de 'Asphodel' de Lousie Le Bars
Cela semble pourtant clair : pour dénoncer le Mal, il faut le montrer. (Étymologiquement le mot « monstre » vient du latin monstrare, qui signifie « montrer ».) Le propre des monstres, c’est donc de devoir être montrés. Pourtant, certaines critiques ont prit le texte au premier degré, et portent des accusations graves. Comme le résume Noir d’Absinthe dans sa publication :

Je ne connaissais pas l’autrice avant cette publication. Je n’ai aucun lien avec cette maison d’édition. Cet article n’a pas pour but de défendre ce livre, pour la simple et bonne raison que… je ne l’ai pas lu ! Mais cet exemple nous rappelle à quel point le propos d’un.e auteur.ice peut être mal interprété. Ce qui est loin d’être anodin.

J’en discutais avec Jeanne Sélène, qui me disait avoir eu le même genre d’accusation avec son roman Le Sablier des cendres. Comme Asphodel, il traite de la naissance d’un monstre. Il propose de réfléchir à ce qui pousse les gens à devenir mauvais. Et l’autrice a été carrément accusée de défendre ce monstre, de lui trouver des excuses. Pire, une des ses lectrices à publié un commentaire disant qu’il était « dommage » qu’elle l’ai écrit. Comme si elle avait fait une erreur en proposant cette réflexion sur la nature humaine. Révoltant.

Les conséquences d’une mauvaise interprétation

Attribuer un propos qui n’est pas le sien à une œuvre (qu’il s’agisse d’un livre, d’un film, etc)  peut non seulement être préjudiciable pour l’auteur.ice en nuisant à sa réputation, mais aussi à sa maison d’édition/de production. Prétendre qu’une œuvre fait l’apologie du racisme, du sexisme, de l’homophobie, etc. si ce n’est pas le cas, c’est non seulement vexant, c’est aussi une accusation grave. Car si une œuvre se rend coupable de défendre ce type d’idéologie, cela tombe sous le coup de la loi.  La responsabilité pénale de l’auteur.ice et de son éventuelle maison d’édition seraient alors engagée. Il faut donc réfléchir avant d’accuser quelqu’un d’enfreindre la loi.

Et si c’était la faute de l’auteur.ice ?

Comme tout auteur.ice, il m’est arrivé de constater que mes romans étaient mal compris. J’ai vu des chroniques ou des retours complètement à côté de la plaque. Quand votre roman parle de passage à l’âge adulte, et qu’on vous dit que le message doit être qu’il faut garder son âme d’enfant, vous hallucinez. Le premier réflexe que j’ai eu (et je suis loin d’être la seule), à été de me remettre en question. J’ai pensé qu’il était trop facile de reprocher au lecteur son incompréhension. Si le texte n’est pas compris, c’est qu’il est mal écrit.

Mais c’était une erreur.

Je l’ai compris car j’ai eu d’autres retours de lecteurs et lectrices qui avaient parfaitement compris mon propos. La plupart de mes lecteurs comprennent parfaitement que mes livres traitent de rejet de la différence, d’acceptation de soi, de féminisme, de douance… Alors certes, il y a des gens qui ne comprennent pas ce qu’est la douance, les différences culturelles entre les espèces, etc. Mais ce ne sont que quelques personnes. Si il y a erreur, c’est plus au niveau du ciblage marketing que de l’écriture. Si les livres sont lus par des personnes qui ne peuvent pas (ou ne veulent pas) les comprendre… ils ne les comprendront pas.

Évidemment, si la grande majorité des lecteurs ne comprend pas le propos implicite du roman, il y a effectivement un problème au niveau de l’écriture. 😉

Qu’est ce qui explique ces erreurs d’interprétation de l’implicite ?

Comme nous l’avons vu, tout le monde ne peut pas tout comprendre. Lire entre les lignes, ça s’apprend. C’est au programme scolaire. Mais parfois, il arrive que des lecteurs avisés, et aussi des auteurs.ices ne comprennent pas le sous-texte. Il peut y avoir plusieurs raisons, en voici quelques unes :

 

La paresse

C’est bien simple, quand on ne veut pas comprendre, on ne comprend pas.

 

L’émotion

Certaines scènes peuvent être si brutales que le lecteur.ice / spectateur.ice ressent une émotion si intense qu’elle parasite sa réflexion. Son jugement est altéré par ses sentiments.

 

Les préjugés

Ils peuvent être à l’encontre de l’auteur, ou de ses opinions. Certains prétendent savoir mieux que l’auteur ce qu’il aurait dû écrire. Par exemple, quand vous écrivez un roman féministe, il faut vous attendre à des réflexions paternalistes. Il y a des gens qui refusent l’égalité des sexes. Il y a ceux qui prétendent que « le vrai féminisme, ce n’est pas ça »… Ça, je l’ai lu dans une critique faite à un roman que j’ai apprécié. Autre exemple : un livre jeunesse, sur la couverture duquel on peut voir une petite fille Noire. Il a été reproché  à l’autrice-illustratrice de ne pas avoir représenté son personnage avec des cheveux lissés et permanentés ! Comme elle le disait elle-même : « elle est Noire, elle a des cheveux de Noire. »

 

Les différence culturelles

Notre regard est forgé par notre culture et notre époque. Cela peut agir comme un filtre qui nous empêche de prendre du recul par rapport à une œuvre. C’est aussi valable pour la non-fiction.

 

L’habitude

Quand on voit souvent des œuvres qui défendent des valeurs nocives, on a tendance à croire que toutes les œuvres vont les défendre. Reprenons l’exemple du propos féministe. La culture du viol et de la femme-objet est défendue non seulement dans la pornographie, mais aussi dans la publicité, dans les plaisanteries salaces,etc. On la voit partout, elle est partout. Alors on peut la voir aussi dans les fictions qui dénoncent ce phénomène, puisqu’elles en parlent. Si on a l’habitude qu’elle soit défendue, on ne s’attend pas à la voir dénoncée. C’est un biais de jugement.

 

Le manque d’habitude

Quand on ne lit pas habituellement des livres à différents niveaux de lecture, on ne se rend pas compte quand un livre contient de l’implicite. C’est un peu comme si vous étiez habitué à la malbouffe, et que vous découvriez une vrai cuisine gastronomique. Au début, vous ne savez pas forcément l’apprécier, et c’est normal. Beaucoup d’œuvres littéraires, musicales, cinématographiques ou autres relèvent plus de la « malcuture » (pour emprunter un terme employé par un de mes lecteurs 😉 ) que de l’Art.

 

L’ignorance

Un lecteur qui ne sait pas lire l’implicite en général ne saura pas plus le lire dans une œuvre en particulier.

Quelles sont les types d’erreur d’interprétation de l’implicite ?

Là encore, ce n’est pas une liste exhaustive.

L’amalgame entre auteur.ice et personnage

Non, l’auteur.ice n’est pas forcément du même avis que son personnage. Attribuer une citation d’un personnage à l’auteur, c’est insinuer qu’il est nécessairement d’accord avec lui, ce qui est faux. Prétendre que les personnages ressemblent forcément à l’auteur.ice, c’est absurde. Souvent, on voit des lecteurs.ices nous attribuer les pensées ou les mœurs de nos personnages. C’est une des choses qui m’exaspère le plus. Car lorsque l’on dit ça, on ne se soucie pas de la vérité, on affirme sans rien savoir.

 

Le déni du contexte

Une histoire est située dans un espace-temps précis. Et l’œuvre elle-même possède son propre contexte de création. Les films qui sortent à notre époque n’abordent pas les choses de la même façon que ceux qui sont sortis il y a cinquante ans. Autre temps, autre mœurs, comme on dit.

 

La sur-interprétation

Certains voient des symboles partout. Souvent des symboles sexuels ou politiques, d’ailleurs, mais pas toujours. C’est parfois vraiment tiré par les cheveux. Je me souviens d’avoir lu un article sur la série Buffy contre les vampires. Une actrice expliquait qu’un fan avait demandé si la présence de sachets de chips à l’envers dans un distributeur symbolisait le chaos qui régnait dans le lycée. C’était juste pour ne pas qu’on voit la marque, en fait…

Les clefs pour comprendre l’implicite

On l’a vu, comprendre le sous-texte est essentiel pour apprécier une œuvre. Ce n’est pas toujours évident. Cela s’apprend. Voici quelques bases pour y arriver.

Connaître le contexte

Savoir dans quelles circonstances une œuvre à été créée.

 

Connaître l’intention

Savoir pourquoi une œuvre a été créée. Dans quel but.

 

Admettre que l’on peut se tromper

Personne n’est infaillible. Il faut garder l’esprit que notre vision d’une œuvre n’est pas forcément la même que celle qu’en a l’auteur.ice.

 

Admettre que plusieurs interprétations sont possibles

Rien ne vous empêche d’avoir votre propre vision d’une œuvre. Cette vision n’est qu’à vous, ne cherchez pas à l’imposer aux autres.

 

Se cultiver

Lire beaucoup, voir beaucoup de films… bref, s’ouvrir à l’Art. S’ouvrir, c’est s’instruire. Plus vous verrez d’œuvres différentes, plus l’implicite vous paraîtra évident.

 

Accepter de réfléchir

Comprendre le vrai sens d’une œuvre, cela s’apprend. Il faut savoir penser par soi-même, sans se laisser influencer par ce que pensent les autres.

Si vous n’avez pas encore l’habitude de lire l’implicite

Ne pas comprendre immédiatement, ou se tromper dans l’interprétation d’une œuvre, c’est humain.

Attribuer à l’auteur des idéologies opposées à ses valeurs, celles-là même qu’il dénonce dans son œuvre, c’est impardonnable. C’est l’insulter. Et c’est malheureusement très courant.

Ne tombez pas dans le piège de la facilité, et n’ayez pas peur de réfléchir au sens de ce que vous lisez ou regardez. Petit à petit, cela deviendra un automatisme, et vous verrez les livres, les films, les peintures, etc. d’une toute autre manière. Vous les comprendrez vraiment.

Et là, vous les apprécierez réellement.

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